Ma nuit chez Mauche (paillasse)

JM2.jpgà M-H W

di Éric Houser

juin 2006

Cette nuit je dors chez Mauche. Passée la grille ascenseuriale, un bref pallier conduit à une porte d’entrée incurvée, évocatrice de Borromini un peu. Atrium. Cubiculum. Tablinum.

À main gauche dans le vestibule, une cuisine d’un jaune tirant sur l’orange, orpiment peut-être, est un espace aux agréables proportions, dépourvu de toute superfluité. La paillasse, dont la pente simple permet un écoulement sans heurt, de l’eau chue d’assez haut d’un flexible vertical, est le clou de la pièce. Dans un coin, ne se poussant pas du col, elle est comme qui dirait posée. À l’égal de la boîte de sardines du petit Lacan, hein, cette paillasse, tu la vois parce que tu la regardes; ben elle, elle a pas besoin de te voir pour te regarder.
Une nuit contient non pas toutes les nuits, mais d’autres nuits. Celles auxquelles je pense, par paillasse interposée, remontent à trente ans en arrière. C’est à Lyon, quartier d’Ainay, rue Vaubecour. Dorment ici trois générations de Lyonnais, dont la soierie fit la gloire et fut la perte.
Ici deux images. Premièrement d’un tas de glaise, de moyenne taille, en permanence humecté, humectage garanti par un sac en plastique recouvrant lui-même enduit de poussière. Deuxièmement d’une grosse théière ventrue en argent ciselé, qui découvrait des cadavres de sachets de thé, racornis, recouverts d’un duvet gris qui les faisait prendre d’abord pour des souriceaux morts.
La douairière se piquait de sculpture, elle avait posée pour l’une des cariatides de l’opéra de la ville, ainsi que, en majesté, pour une fontaine proche de son domicile. Logeait aussi une vieille fille, sa fille, tante de mon ami. Le voussoiement était de règle.
Nous faisions notre droit, c’est-à-dire quasiment rien du tout. Nous passions le plus clair de notre temps à piquer des fous rires de jeunes filles vierges (ce que nous étions, bel et bien), à écrire, à dessiner, à écouter des disques sur une sorte d’électrophone Teppaz à vapeur dont il fallait de temps à autre renouveler le saphir ou le diamant, je ne sais plus.
Nous ne pouvions pas dépenser l’argent que nous n’avions pas, seulement rêver à ce que permettrait celui que nous ne manquerions pas d’avoir, un jour. Il finirait bien par couler, un jour. Cela d’ailleurs n’était pas dit, même pas pensé, tant cette question, que feras-tu plus tard, nous paraissait indigne d’être posée.
Je m’adonnais seul et sans passion, à cette époque, au crime d’Onan, comme aimait à appeler la masturbation, avec une réjouissante et définitive emphase, mon ami de Lyon. Je me demandais bien comment il pouvait, lui, écouler son sperme.
La femme, à cette époque, était bien le cadet de mes soucis. C’était mon erreur, et celle de mon ami, que de l’imaginer plutôt que de la voir, la réelle, et de l’approcher. La fac offrait pourtant quelques spécimens. Il y avait une demoiselle Proust, dont la vêture (juxtaposition jean / vison), associée au nom bien sûr, me semblait le summum de l’élégance.
Mon ami fréquentait assidûment ce qu’il appelait le rallyedanse, expression mystérieuse pour moi de savoir que d’automobiles, dans ces événements mondains, il n’y en avait pas. Son espoir avoué était d’y rencontrer celle qui.
Vicariante était La musique, que nous écoutions dans le noir, sous nos draps (à mon ami un vrai lit, à moi une toute petite banquette). D’ineptes concertos pour violon surtout, remplis de notes suraiguës et de glissandi qui m’auraient, dans un autre contexte, fait me boucher les oreilles.
Les dîners précédant ces moments musicaux, pris avec la douairière et sa fille dans une minuscule salle à manger-alcôve, pièce sinistre et sans fenêtre, étaient des morceaux d’anthologie. Je ne parle pas du contenu de ce que nous mangions, mais de celui des
conversations. D’une effarante bêtise, confinant d’ailleurs à une trouble beauté. Tout à fait le genre Guermantes, la méchanceté en moins, mais le provincialisme en plus. De vin, pas question, alors que j’aurais bien aimé me piquer la ruche, au moins pour passer le temps. Je rongeais mon frein. Le moment suivant le repas était consacré à la vaisselle (revoilà la paillasse), activité à laquelle avec ardeur je prêtais mon concours, car elle signait la fin de l’épreuve.

Chez les parents de mon ami, qu’une irrésistible déchéance financière avait conduits dans un pavillon préfabriqué à Vaulx en Velin, situation de laquelle ils se sortaient cependant la tête haute, grâce à leur constance dans l’exercice des vertus négatives chrétiennes, il y eut également de ces nuits. Lors de l’une d’elles, mon ami me vomit dessus (je reposais sur un matelas mousse, en contrebas de son propre lit). Ce qui me réveilla en sursaut et ne fit qu’attiser une haine sous-jacente, pour lui et tout ce qu’il représentait. Je n’étais ni entendu ni compris.

Ce fut le début de la fin. Je commençai à haïr franchement, en bloc, le violon, l’opéra italien, la peinture de Raoul Dufy, Ionesco, Bresson, le christianisme, la famille, le droit, la magistrature et tutti quanti.
Quant à JM, homme d’aucun groupe ou de tous, qu’ennuie quelque bêtise que ce soit (sans qu’il le déclare ; ce serait contradiction) : aucun rapport bien sûr avec tout ça. Sauf celui d’avoir, sans le savoir, permis avec sa paillasse que lève ce souvenir d’une vie antérieure. Ma nuit dans ses murs fut absolument paisible, et sans rêve. Ridi Pagliaccio!

[nella foto (ingrandibile), Jérôme Mauche visto da Éric Houser.]

7 COMMENTS

  1. L’auteur m’avait communiqué ce petit texte, au cours du séminaire du groupe Patomipala – pour Pavie-Turin-Milan-Paris-Lausanne – autour des “représentations discursives du temps” (mon dieu quel titre). Qui m’a beaucoup surpris, connaissant les tendances “formalistes” qu’il a (jusqu’alors) manifestées. C’est un peu inquiétant, cette espèce de “retour à” (ti ricordi). Dans le texte manuscrit qu’il m’avait envoyé, il y avait une tripartition, chaque page contenait trois §, de taille variable mais assez courts. Il y avait aussi des ital. qui rappelait un peu Bernhard (ou les capitales de Gombrowicz dans La pornographie). Elles ont disparu, je crois que c’est une bonne chose.

  2. Je tiens à signaler que je connais ce prétendu Eric Houser qui s’auto-arroge des prétentions au “formalisme” comme au bernhardisme.
    Et je tiens par ailleurs à signaler que je loge ou n’héberge personne.
    Fait pour que ce de droit

    Jérôme Mauche

  3. Lapsus non révélateur, frappant dans le noir des anticipations comme je peux, je tenais au contraire à signaler que je “ne” connaissais pas ….

    JM

  4. je tiens à préciser qu’il n’y a QU’UN SEUL Eric Houser, et que tous ceux, Jérôme Mauche compris (que je n’ai du reste JAMAIS rencontré tout en ayant lu et apprécié ses livres), qui se font passer pour lui d’une manière ou d’une autre sur nazioneindiana et ailleurs ne sont que de vils imposteurs, au mieux des prête-noms. Il y a de l’auteur, comme il y a de l’un. e poi basta.

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Andrea Raos
andrea raos ha pubblicato discendere il fiume calmo, nel quinto quaderno italiano (milano, crocetti, 1996, a c. di franco buffoni), aspettami, dice. poesie 1992-2002 (roma, pieraldo, 2003), luna velata (marsiglia, cipM – les comptoirs de la nouvelle b.s., 2003), le api migratori (salerno, oèdipus – collana liquid, 2007), AAVV, prosa in prosa (firenze, le lettere, 2009), AAVV, la fisica delle cose. dieci riscritture da lucrezio (roma, giulio perrone editore, 2010), i cani dello chott el-jerid (milano, arcipelago, 2010) e le avventure dell'allegro leprotto e altre storie inospitali (osimo - an, arcipelago itaca, 2017). è presente nel volume àkusma. forme della poesia contemporanea (metauro, 2000). ha curato le antologie chijô no utagoe – il coro temporaneo (tokyo, shichôsha, 2001) e contemporary italian poetry (freeverse editions, 2013). con andrea inglese ha curato le antologie azioni poetiche. nouveaux poètes italiens, in «action poétique», (sett. 2004) e le macchine liriche. sei poeti francesi della contemporaneità, in «nuovi argomenti» (ott.-dic. 2005). sue poesie sono apparse in traduzione francese sulle riviste «le cahier du réfuge» (2002), «if» (2003), «action poétique» (2005), «exit» (2005) e "nioques" (2015); altre, in traduzioni inglese, in "the new review of literature" (vol. 5 no. 2 / spring 2008), "aufgabe" (no. 7, 2008), poetry international, free verse e la rubrica "in translation" della rivista "brooklyn rail". in volume ha tradotto joe ross, strati (con marco giovenale, la camera verde, 2007), ryoko sekiguchi, apparizione (la camera verde, 2009), giuliano mesa (con eric suchere, action poetique, 2010), stephen rodefer, dormendo con la luce accesa (nazione indiana / murene, 2010) e charles reznikoff, olocausto (benway series, 2014). in rivista ha tradotto, tra gli altri, yoshioka minoru, gherasim luca, liliane giraudon, valere novarina, danielle collobert, nanni balestrini, kathleen fraser, robert lax, peter gizzi, bob perelman, antoine volodine, franco fortini e murasaki shikibu.